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Aux lycéens et lycéennes, apprenties et apprentis, stagiaires, qui ont participé au 9ème Prix littéraire d’Île-de-France

La lettre de la lauréate Yamina BENAHMED DAHO

Aux lycéens et lycéennes, apprenties et apprentis, stagiaires, qui ont participé au 9ème Prix littéraire d’Île-de-France,

Récemment, Frédérique Moré, de la Maison des écrivains et de la littérature qui m’a adorablement accompagnée dans une des classes qui avait lu mon roman De mémoire, m’a contactée pour me proposer d’écrire une lettre à tous les participants du Prix littéraire d’Île-de-France. Une lettre qui dirait ce que j’aurais pu vous dire si nous avions pu nous rencontrer pour la remise du prix.

Si nous avions pu nous rencontrer. Si. C’est fou ce qu’on bricole avec des si, ces derniers mois. Des si en pagaille, des si du matin au soir jusque dans nos nuits, des sien veux-tu en voilà. On ne s’est jamais autant exprimé au conditionnel ni posé autant de questions.
Si je pouvais voyager (où irais-je ?)
Si j’avais la possibilité de sortir ce week-end (qui verrais-je ?)
Si je pouvais aller au théâtre ou au cinéma (que choisirais-je de voir ?)
Si je pouvais faire quelque chose, n’importe quoi, là, maintenant, sans attestation ni couvre-feu sans masque ni mètre de vide entre moi et ceux qui m’entourent (que ferais-je ?)
Si j’avais pu vous rencontrer,
Si seulement j’avais été face à vous,
Si et seulement si nous avions été ensemble,
Que vous aurais-je dit ? Je vous aurais remercié, mille fois, d’avoir attribué votre prix à De mémoire parce qu’il n’y a rien de plus touchant pour un auteur que de voir son livre choisi par des jeunes lecteurs, qui ont la vie devant eux, le temps de la transmission et de la construction.
Mais, en réalité, que sais-je réellement de ce j’aurais dit si nous nous étions rencontrés ? Par définition, ce conditionnel m’empêche de poser la moindre certitude. Du fait même de votre présence, mes mots n’auraient pas été exactement ceux que je pose ici.
Ma voix les aurait transformés ; vos visages les auraient infléchis, déviés de leur trajectoire.
En vous écrivant, je m’aperçois donc à quel point nos vies sont conditionnées par ces si. Et c’est terrible. Ce doit être d’autant plus terrible pour vous, jeunesse qui d’ordinaire se caractérise par ces privilèges que sont les désirs instinctifs, les envolées irréfléchies, les envies spontanées. C’est en vous écrivant que je me rends compte à quel point ce monde incertain doit vous être insupportable.
Mais je sais et ce sont les livres qui me l’ont appris -que des tristesses les plus angoissantes on peut toujours tirer une poussière de joie, une consolation.
Alors je veux croire que votre jeunesse peut aussi apprendre de ces conditionnels tragiques, de ces simis en bouteilles qu’on débouchera peut-être jamais. Je crois que les sipeuvent inviter à des pensées flottantes, des images floues, des représentations imaginaires, des nostalgies qui nous portent vers d’autres vies, d’autres formes d’existences, d’être au monde. Et cela, c’est heureux, comme un livre qu’on se met à écrire parce que la littérature, avant d’énoncer des certitudes, se bâtit toujours sur des si. Du conditionnel qui enferme, soyez sûrs que vous en sortirez grandis.
Courage !
Et encore merci !Yamina BENAHMED D

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