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Les auteurs de la sélection "78" s’adressent aux lycéens et lycéennes, apprenties et apprentis, stagiaires, qui ont participé au 9ème Prix littéraire d’Île-de-France

La lettre d’Alexandre Feraga

On me fait souvent la remarque suivante : « C’est une chance que tu as de pouvoir écrire. »Je ne mesure pas toujours la portée de cette phrase. Car pour moi, écrire est devenu une fonction vitale, comme manger, boire, respirer ou aimer. Ceci n’est pas une simple formule d’écrivain. Les jours où je ne peux pas écrire me semble incomplets. J’ai l’impression d’avoir raté un événement. Je me sens vulnérable de ne pas avoir assez dit. Parfois, lorsqu’on me répète « C’est une chance que tu as de pouvoir écrire. » moi j’entends « C’est une chance que tu as de pouvoir vivre. » Alors là, oui, je prends conscience du privilège que m’offre la littérature.

La parole m’a profondément manqué dans ma jeunesse. Vivre sans parole est pour moi un effondrement intérieur. L’écriture est née en moi en réponse à des manques affectifs. Bien entendu, j’aurais préféré qu’elle naisse dans d’autres circonstances, mais il faut l’accepter. Mon écriture vient de loin, et oui, par chance, je l’ai laissée me saisir. Les écrivains fascinent par leur capacité à dire le monde, tout en s’en retirant. Car l’écriture est un acte de solitude. C’est tout à la fois une aventure merveilleuse, profonde, spirituelle,au sens où elle fête l’esprit de création, où elle questionne sur qui nous sommes, mais l’écriture est aussi une douce malédiction. Elle vous prend le temps de fête que vous tentez de cerner en écrivant. Elle vous arrache au présent. Lorsque vous écrivez, vous échappez à vos proches, malgré vous. Votre esprit erre en permanence dans cet état créatif et réflexif inhérent à l’écriture. Elle exige de vous de laisser l’autre, celui qui écrit, prendre les commandes de votre vie.
Après la mer, mon quatrième roman, raconte quelques mois de mon enfance. Je situe la naissance de mon écriture, et de « cet autre »,à cette période. J’ai parlé de malédiction car pour moi, l’écriture vient d’une série de traumatismes vécus au sein de ma famille. Sans ces traumatismes : pas d’écriture. Il m’a fallu du temps pour admettre que si mon enfance avait été différente, moins âpre et douloureuse, je ne serais probablement pas devenu écrivain.
Dans ce roman, je parle du silence de mon père. Un silence froid, abyssal. Toute tentative de l’approcher se heurtait à ce silence. L’absence de parole, de la part de celui qui a décidé un jour de vous donner la vie est une énigme que vous voulez résoudre à tout prix, quitte à finir par parler pour lui. C’est ce que j’ai dû faire dans Après la mer, qui est un roman et non une autobiographie. C’est un roman né d’un fait autobiographique, pour être plus précis. Ce fait est révélé à la fin du roman, donc je n’en dirai rien ici. Pour en revenir à l’énigme du père, je pense que ma volonté de raconter des histoires et le plaisir de créer des personnages, de les animer, de leur donner chair et esprit, sont intiment liés au fait de vouloir combler ce vide que représente l’absence du père. Une des motivations de ce roman est présentée en exergue, elle explique bien ce besoin de dire les choses,de peur de laisser le silence parler à votre place. Ces quelques phrases retiennent d’ailleurs très souvent l’attention des personnes qui me reçoivent en librairie ou lors de rencontres littéraires, les voici :
A ma fille, en espérant qu’elle ne soit pas obligée d’inventer des histoires pour parler de son père.
Comme j’ai dû le faire en écrivant Après la mer pour combler les vides entre mon père et moi. Pour essayer de bâtir un passé commun qui n’a pas eu lieu. L’écriture de ce roman m’a permis de réellement comprendre d’où venait cette volonté farouche de raconter des histoires, de créer des personnages et de se laisser guider par eux. Je raconte dans Après la mer, que les personnages sont venus combler ma généalogie défaillante. Les personnages que je crée ne me trahissent jamais. Ayant subi une multitude de trahisons au sein de ma famille, c’est tout naturellement que j’ai remplacé certains membres de cette famille par des êtres de fiction. Ces derniers ne sont certes pas tous parfaits ni irréprochables, mais ils ne m’ont jamais déçu !
A un moment donné de ma vie, l’imaginaire a pris le relai sur une réalité qui me faisait souffrir. Je ne m’en suis pas extrait pour autant. L’écriture me permet de me présenter au monde plus fort, plus déterminé à célébrer tous les petits plaisirs du quotidien. L’écriture permet un éveil permanent, une relation au monde plus pacifiée.
Pour finir, je vous souhaite, chers lycéens, apprentis et stagiaires, d’avoir la même chance que moi en trouvant un moyen de vous réaliser. Explorez, cherchez en vous et dans les autres des vies possibles. Je vous souhaite de trouver la force d’affronter tous les défis à venir. En ces temps incertains, il est plus que nécessaire de partager la parole. La parole est une arme magistrale capable de tout apaiser. Une parole véritable, une parole vivante. Une parole qui ne cherche pas à s’imposer ni à convaincre. Une parole qui prend l’autre en considération. Une parole pour dire non, pour contredire, pour se révolter, mais aussi et surtout une parole pour dire oui à toutes ces choses qui nous tiennent collectivement et qui valent la peine d’être défendues. En deux mots : parlez et devenez !

Alexandre Feraga

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Les lettres de Damien Cuvillier et Hélène Ferrarini

La lettre de Damien Cuvillier

Ce dont j’aurais aimé vous parler, c’est évidemment de dessin mais surtout du plaisir de pratiquer le dessin et d’observer les gens à l’œuvre.
Je ne suis pas de nature prosélyte mais concernant le dessin je dois vous dire qu’il s’agit là d’une pratique qui fait beaucoup de bien au corps et au cœur.
Parce que la pratique du dessin demande toujours du temps, c’est donc un moment privilégié, à soi, où le corps est tout entier tendu vers une surface de papier.
Pour moi, le corps se détend en même temps que le dessin se réalise et le cœur s’ouvre à des continents insoupçonnés.
Que le dessin soit pratiqué par des professionnels ou des amateurs, il y a dans cette petite danse du crayon sur une surface, à la base vide, quelque chose d’hypnotique. Car il n’y a pas une façon de dessiner, il y en a des milliers, autant d’individus que de façon de créer et de réinterpréter le monde.
Sachez donc que, si l’envie vous titille un jour de vous lancer dans la création, peu importe la forme (dessin, chant, théâtre,cuisine,...), votre premier atout et votre force est d’abord votre subjectivité.
Le dessin, c’est donc cette illusion d’accumulation de traits, imbriqués les uns dans les autres qui finissent par donner forme à un univers.
Car le gouffre qui s’ouvre devant nous lorsque l’on se met à dessiner, c’est que notre seule limite est celle de notre imagination.
On dessine tous. Quand on écrit, c’est encore du dessin. La forme des lettres est un code qui nous est tellement familier que, finalement, on ne voit même plus que c’est du graphisme.
Et tout ce qui nous environne -bâtiments, meubles, objets, vêtements... -a d’abord été dessiné avant de se matérialiser.
Donc, le dessin fait partie de nos vies à tous, d’une manière plus ou moins forte.
En ce qui me concerne, cela m’anime, m’enthousiasme toujours autant et m’aide à comprendre -un peu -le monde dans lequel je vis.

Damien Cuvillier

En bonus ..making Off sur Eldorado

La lettre d’Hélène Ferrarini

Eldorado est l’histoire d’un jeune homme qui a des rêves. Des rêves d’émancipation sociale. Qu’est-ce que ce grand mot, là ? Des rêves d’une vie meilleure, pour lui mais pas seulement, pour lui et les autres. Dans un décor d’usine d’un temps passé –jamais dans le récit, peut-être l’avez-vous remarqué, n’est précisé où et quand cette histoire, ces histoires se déroulent. Nous qui avons écrit, dessiné, fait dialoguer ces personnes, nous imaginions une de ces métropoles du nord-est des États-Unis, vers 1900, dans un quartier d’immigrants italiens. En regardant récemment Le Parrain, nous avons réalisé comment inconsciemment nos décors d’Eldorado portaient des traces de la reconstitution historique faite par Coppola lorsqu’il met en scène la jeunesse de Don Corleone.

En façonnant ce récit, nous avions plus clairement en tête l’intention d’écrire une variation autour de l’Eldorado. Les hispanophones savent que ce lieu mythique parle d’or. De beaucoup d’or. Quand l’Europe fantasmait ce qu’elle a qualifié de Nouveau Monde –nouveau pour les Européens, mais certainement pas pour celles et ceux dont elle était déjà la terre –l’Eldorado était censé se trouver en Amérique. Depuis ce terme désigne un lieu ou une opportunité rêvée, où la vie serait douce, le succès à portée de main et bien bête celui qui s’en priverait. Mais dans l’Eldorado se trouvent entremêlés et le rêve et l’espoir, l’illusion, la chimère et le miroir aux alouettes. Drôle d’expression française que cette dernière qui fait référence à un objet utilisé pour chasser de petits oiseaux attirés par la lumière du soleil se reflétant dans des morceaux de verre. Comment discerner les apparences flatteuses d’un réel plus complexe ? Notre Marcello, pourtant méfiant à ses débuts, s’y perdra, dans l’inextricable emmêlement de la dense et lianescente forêt qui l’enserre.

Hélène Ferrarini

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