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Analyse comparée : un excellent écrit de Lou

Sujet donné :

A partir du corpus des 5 oeuvres suivantes, analyser les oeuvres et développer une réflexion sur l’axe de travail suivant : relation de l’oeuvre à la réalité.

Corpus :

MONET Claude (1840-1926), Le matin clair aux Saules,( détail) entre 1914-1926, trois panneaux à l’huile accolés sur toile et marouflées sur le mur, 200x1275cm, Orangerie, paris
MITCHELL Joan (1925-1992) Edrita Fried, 1981, 4 panneaux, 75cm de large pour m de long
HANSON Duane (1925-1996), Supermarket Lady, 1969-1970, polyester, fibre de verre, peinture acrylique, huile, cheveu, prothèse oculaire, chariot de supermarché, conserves, 166x65cm
BOURSIER-MOUGENOT Céleste (né en 1961), From Here to ear, 2015, musée des Beaux-arts de Montréal, 70 à 80 pinsons diamants madarins, guitares éléctriques et amplis, dimensions et dispositifs variables depuis 1999.
SCHEMIDT Ronaldo (né e, 1971), Cadavres dans une rue de Boutcha près de Kiev le 02 avril 2022

Réponse de Lou :

Ce corpus d’œuvres permet de mener une réflexion sur l’axe de travail : l’art et la réalité.
Il se compose de cinq œuvres. Tout d’abord, nous avons Claude Monet, qui a peint Le matin clair aux Saules, datant de 1914 à 1926. Ce sont trois panneaux peints à l’huile accolés sur toile et marouflés contre le mur, elle mesure 200 x 1275cm et est actuellement exposée au musée de l’Orangerie à Paris. Joan Mitchell elle, nous propose Edrita Fried, peint en 1981, ce sont 4 panneaux mesurant 75 x 300 cm en tout. Par la suite, From here to ear est une installation de 2015 de Céleste Boursier-Mougenot qui réunit 70 à 80 pinsons diamants mandarins et des guitares électriques et amplis au musée des Beaux Art de Montréal. Puis, Supermarket Lady de Duane Hanson, en 1969-1970, une sculpture réalisée en polyester, fibre de verre, acrylique, huile, cheveux, prothèse oculaire, chariot de supermarché et conserves, elle mesure 166x65 cm. Et enfin, une photographie de Ronaldo Schemidt intitulée Cadavres dans une rue Boutcha près de Kiev, prise le 02 avril 2022.
On se demande alors quelle est la relation entre l’art et la réalité ? L’art nous détourne-t-il du réel ? ou au contraire nous permet-il de mieux comprendre notre réalité ?
Ainsi nous allons étudier dans un premier temps la représentation comme un outil d’analyse du monde, puis un monde interprété et enfin l’art comme contradiction du réel.

Guy de Maupassant énonce « une œuvre d’art n’est supérieure que si elle est, en même temps, un symbole et l’expression exacte d’une réalité ».
La photographie de Ronaldo Schemidt est en cadrage horizontal qui correspond à notre vision. Nous avons alors l’impression d’avoir un regard direct sur la scène. Elle est dominée par sa lumière et ses couleurs ternes, grisâtres, oppressantes. Au premier plan, on observe trois cadavres allongés sur le sol les uns derrière les autres, ils sont flous, comme oubliés. En effet la mise au point est réalisée sur les deux hommes marchant au milieu de la route et n’ayant de regards ni l’un pour l’autre, ni pour les corps allongés.
Cette scène leur semble familière et la mort commune, prenant une place dans leur quotidien marqué par la guerre. La route est sans fin, on ne distingue pas quand elle se termine, à l’image de cette guerre.
Ainsi avec une seule photographie, l’artiste nous narre l’histoire d’une guerre entière, sa triste réalité. Elle choque, elle offusque, elle nous frappe au visage et nous ouvre les yeux sur une réalité bien actuelle, elle nous rapproche de cette réalité géographiquement éloignée et ainsi peut soulever des consciences.

Alberti affirmait que l’art était une « fenêtre ouverte sur le monde », c’est la représentation la plus fidèle possible du monde, permettant ainsi de rendre compte vraisemblablement du monde. Cette représentation conforme à notre façon de percevoir le monde et donc qui semble indéniable, est un outil pour mieux appréhender notre monde, notre réalité à tous.
Supermarket Lady est une sculpture hyperréaliste qui met en scène une scène banale, une femme plutôt représentative des clichés américains, femme aux foyer, bigoudis sur la tête, dodue faisant ses courses dans un supermarché. Elle pousse un cadie, symbolique de la surconsommation, des conserves, des emballages et de la malbouffe à foison. Ici, se passe alors une scène plutôt ordinaire mais pourquoi cette sculpture nous intéresse tant alors ? En effet Duane Hanson rend compte d’une réalité quotidienne, même si elle est caricaturée, il pose cette réalité en face de nos yeux et nous impose de la regarder, cette réalité-là, pourtant devenue invisible à cause de l’habitude. Il nous place devant une dame qui n’aurait pas attiré nos regards si elle n’était pas présente dans un musée, et ainsi nous mène à réfléchir sur le monde de la consommation. Nous trouvons tous cette scène absurde, parodique et pourtant elle représente la réalité.
Ainsi la représentation du monde tel qu’on le perçoit peut nous éclairer, nous questionner sur un monde que l’on n’observe plus forcément, car certains ont besoin qu’on leur pose le problème sous les yeux pour accepter d’enfin les ouvrir. De la sorte, une scène commune comme sujet d’œuvre d’art, plus proche du réel désacralise l’art.
De la même manière, les Frères Lumière, fin 19e siècle, révolutionnent le sujet de l’oeuvre d’art. Dans un monde où le réel est scandaleux, en prenant comme sujet pour leur premier film, un train, en filmant cette arrivée de train, les frères Lumières choisissent un sujet qui sort de l’ordinaire des règles de l’art de l’époque et pourtant se rapproche de l’ordinaire de la vie, de la réalité. Cela va inspirer de nombreux artistes, notamment Monet qui va par la suite peindre des arrivées de train et des scènes plus banales, plus proche de la réalité.
Ainsi, l’art peut être une fenêtre ouverte vers le monde, se devant de représenter uniquement la réalité telle que nous la voyons mais certains voient l’art comme un miroir du monde, il reflète notre réalité, mais nous permet une certaine interprétation de celle-ci.
En deuxième lieu, From here to hear est une installation laissant vivre ensemble de nombreux oiseaux et des guitares électriques, cette rencontre du monde animal et humain crée alors une mélodie, des sons plutôt perçants, stridents, au beau milieu de ces bruits d’oiseaux. En effet les pinsons, sont libres, vont et viennent sur les guitares, créant ainsi de la musique, de l’art en agitant les cordes. Cette œuvre fait cohabiter deux mondes qui ne se seraient pas rencontrés, ainsi elle crée une nouvelle réalité. Elle part bien de notre réalité, de nos objets mais l’interprète, la questionne, l’expérimente. Ainsi, elle ne s’efforce pas de représenter les choses telles qu’elles nous apparaissent, mais les déforment, les dénaturent, les démêlent pour tenter de les déchiffrer. De la sorte, sortir de la représentation parfaite du monde peut au contraire nous faire voir encore plus, au-delà du visible et montrer de nouvelles apparences du monde pour mieux comprendre notre réalité.
Avec Le matin clair aux saules, Monet nous représente une étendue d’eau parsemée de nénuphars et à gauche un tronc imposant de saule pleureur, grâce à son geste ondulé, ses traits courbés. L’eau reflète un ciel laiteaux, d’une clarté matinale. Il représente un monde flottant, brumeux, d’eau mouvante et l’interprète avec sa touche divisionniste, colorée, puissante qui créé une sensation de lumière pure. Ainsi il tente de capter l’insaisissable, la réalité de la variation continue de la lumière.
En effet, aidé par l’invention du tube de peinture, Monet sort de son atelier, se rapproche de son sujet, du réel et le questionne. Il fait face à de nouvelles interrogations, multiplicité de la lumière, du temps, des points de vue, ainsi Monet ne peint pas « la réalité », car il fait face à une multitude de réalité. De la sorte, ici, le peintre reflète le monde, il le traduit à sa manière car il doit composer avec une réalité imprenable. C’est ce qui fait sa beauté, elle évolue, elle s’agite, elle se métamorphose et le peintre tente au mieux d’attraper et de représenter ce monde, tel qu’il le voit individuellement et de partager cette vision aux autres. Voir la beauté de notre monde à travers l’œil d’un autre ne peut être qu’enrichissant, nous faire sortir de notre conception du monde exclusive dans laquelle on s’enferme facilement. Ainsi, la réalité reflétée, interprétée, en peinture permet de la décoder, sortir de cette représentation conventionnelle, académique pour ouvrir les portes vers une vision du monde plus aérée, laissant la place à plusieurs réalités propre à chacun. Aller à la découverte des autres mondes ne peut être que bénéfique pour fortifier sa propre réalité...

Nous avons donc vu que l’art peut être un miroir du monde, maintenant, nous allons voir que l’art peut être également sans réalité concrète.
En dernier lieu l’art abstrait est l’art de la non-figuration. Joan Mitchell, avec son œuvre Edrita Fried joue avec la peinture, elle fait danser la peinture. C’est la valse du jaune ambré, de l’orange abricot, un duo de bleu acier et outremer. Tout cela légèrement saupoudré de violet lavande. L’artiste s’exprime avec une touche puissante, énergique, et dense. Annette Messager énonçait « je hais le linéaire, je mets en pièce morceau de bois et bas-morceau, je démembre, je morcelle »... En effet, pour elle, l’art c’est s’exprimer, expérimenter et laisser les choses courir, évoluer sans chercher le réel à tout prix. Mitchell s’inspire des paysages de Monet mais aussi de cette rébellion face aux codes, elle va plus loin. Son œuvre, c’est la peinture, les gestes, la couleur, la lumière, elle sort de la représentation uniquement figurative et montre que la peinture se suffit à elle-même. On réinvente la peinture codifiée, on ne représente plus le monde visible, mais un monde abstrait, imaginé, expérimenté.
Cette œuvre permet de voir deux expressions singulières face à un même paysage, celle de Monet et celle de Mitchell. Face à face à un même monde, les deux artistes l’interprètent de deux manières très différentes, pour autant partagent des points communs, la pré dominance du mouvement, de la couleur, de la lumière sans doute propre à ce lieu. Puis, l’une part dans une représentation abstraite, abondante et impénétrable et l’autre dans une représentation impressionniste profonde et douce. Ils nous offrent ainsi deux visions du monde antithétique, ici, la peinture devient une forme d’expression de soi, on ne se contente plus de représenter le monde tel qu’on le voit, mais on l’incarne.
De la même façon, Kandinsky, pionnier de l’abstraction, joue avec les couleurs, vives, éclatantes, et les formes géométriques. Il a d’ailleurs été très inspiré par Monet, il dira à propos de l’un de ses tableaux « c’est la première fois que j’ai vu une vraie peinture ». En effet, une vraie peinture, avec sa texture, ses empâtements et strates. Ici, on veut voir la peinture pour de vrai, c’est elle qui les intéresse, le sujet n’est plus le centre de l’œuvre.
Les peintres abstraits peignent donc leur réalité, hors des codes de la représentation fidèle, ils choisissent de peindre ce qu’ils ressentent, et exprimer ce qu’ils voient en le confrontant à ce monde réel parfaitement représenté. « L’art ne montre pas le visible, il rend visible » (Paul Klee). Ainsi la contradiction du réel peut au contraire soulever de nouveaux points, les montrer d’une autre manière. C’est donc par la non-figuration que les artistes abstraits provoquent et représentent leur monde.

Pour conclure, il n’existe pas qu’une seule manière de représenter la réalité, si bien qu’il n’existe pas qu’une seule réalité. Les uns, la représente telle qu’elle, au plus proche de ce que nous pouvons voir. D’autres l’observent, et se permettent de l’interpréter, de la modifier pour en faire ressortir leurs visions à eux. Et enfin, certains ne cherchent pas à illustrer parfaitement cette réalité, mais s’en écartent, la contredisent, partent aux antipodes, et représentent un monde en dehors de toute figuration, à leur image. Le point commun est que chacune d’entre elles, nous offrent une façon de voir et de réfléchir le monde différemment.
Selon la conception classique et académique, l’art c’est représenter ce que l’on voit, au plus proche de la réalité. Paradoxalement, après Manet et son Olympia ou Courbet avec l’Origine du monde, on peut se demander pourquoi le réel reste-t’il encore si scandaleux aujourd’hui ?

Lou SIMONOT

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