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Ateliers avec Frédérique Bruyas autour du Discours de la servitude volontaire

Mais, à vrai dire, il est inutile de discuter pour savoir si la liberté est naturelle

, puisqu’on ne peut tenir personne en servitude sans lui faire tort, et qu’il n’y a rien d’aussi contraire à la nature, toute raisonnable, que l’injustice. C’est donc que la liberté est naturelle ; et, de la même manière, à mon avis, c’est donc que nous ne sommes pas seulement nés dans l’indépendance, mais encore que nous avons pour mission de la défendre. Or, si jamais nous en doutons, si nous sommes trop dégénérés, pour ainsi dire, les bêtes brutes à la chaire, afin qu’elles vous apprennent votre condition naturelle pour reconnaître nos biens et nos penchants naturels, il faudra que je vous rende l’honneur qui vous revient et que je fasse venir, pour ainsi dire, les bêtes brutes à la chaire, afin qu’elles vous apprennent votre condition naturelle. Si les hommes ne font pas trop les sourds - que Dieu m’aide -, ils entendent les bêtes leur crier : « Vive la liberté ! »

Plusieurs d’entre elles meurent aussitôt qu’elles sont prises : comme le poisson quitte la vie en même temps que l’eau, de même elles quittent la lumière et ne veulent pas survivre à leur indépendance naturelle.

Si les animaux avaient quelques privilèges les uns sur les autres, ils feraient de celui-là leur titre de noblesse. Les autres bêtes qui sont prises, des plus grandes jusqu’aux plus petites, livrent une telle résistance à coups d’ongles, de cornes, de bec et de pieds, qu’elles montrent clairement le prix donné à ce qu’elles perdent ; puis, étant prises, elles nous donnent tant de signes évidents de la conscience qu’elles ont de leur malheur, qu’on peut voir qu’elles languissent plus qu’elles ne vivent, et qu’elles continuent à vivre pour regretter leur bonheur perdu plutôt que pour se complaire à la servitude.

L’éléphant qui, s’étant défendu jusqu’au bout, ne voyant plus de raison de poursuivre la lutte, sur le point d’être pris, enfonce ses mâchoires dans les arbres et s’y casse les dents, que fait-il sinon témoigner que le grand désir qu’il a de demeurer libre, comme il est, lui donne de l’esprit et lui inspire de marchander avec les chasseurs au cas où il en serait quitte à perdre ses dents, au cas où il pourrait donner son ivoire et payer cette rançon en échange de sa liberté ?

Nous appâtons le cheval dès sa naissance pour l’habituer à servir ; toutefois, nos flatteries ne l’empêchent pas de mordre le frein et de ruer contre l’éperon lorsque nous voulons le dompter : il semble qu’il s’adresse à la nature pour lui montrer au moins que s’il sert, ce n’est pas de son plein gré, mais parce que nous l’y forçons.
Etienne de La Boétie, Discours de la servitude volontaire.

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